Blues Rules? Vous avez dit "Blues Rules"? Ces deux mots résonnent et tourbillonnent... car votre mémoire est bonne: les chroniqueurs de Rawpowermag' avaient déjà usé de leur plume pour vous raconter l'étape parisienne de la caravane du Blues Rules en 2013, sans oublier l'interview des Left Lane Cruiser.
Prenant notre courage (et le volant de la voiture) à deux mains, on a donc franchi les Alpes tel un Hannibal des temps modernes (dans le sens France-Suisse cependant) pour répondre à l'invitation lancée par les organisateurs et passer le week-end du 20-21 mai au Blues Rules. Chez Rawpowermag', on n'a donc peur de rien: ni des reportages embedded à l'étranger, ni des interviews in english, ni de l’absinthe suisse, ni d'une nuit au fond d'un bunker... ("ça nous change de vos jeunes confrères experts musicaux qui pondent leur chronique depuis leur fauteuil cuir club en buvant une suze" nous direz-vous). Voici donc le compte-rendu subjectif d'un des meilleurs festivals d'Europe (dans notre panthéon personnel).
Le cadre? Le "château de Crissier", sans comparaison avec Chambord ou Carcassonne, disons une belle bâtisse disposant d'un domaine verdoyant avec une vue au loin sur le lac Lémant. La scène est placée en bas d'une faible pente engazonnée, permettant une réelle proximité du public avec les artistes (un des nombreux atouts du festival). Les quelques pâtures aux alentours donnent de l'espace à ce lieu magique, ponctué de quelques gargotes pour apaiser la faim et la soif du chaland. Dans le public, on croise toutes les populations de festivaliers: des locaux, des fans de blues et/ou de jazz (parfois affiliés au BAG) ayant fait un peu de route, des jeunes, des vieux, des familles, des "routards" de festival (reconnaissables à leurs avant-bras garnis de bracelets d'entrée)...
Les instigateurs de ce festival? Vincent Delsupexhe (qui assure maintenant la programmation au Tennessee Paris), Thomas Lecuyer et l'association "Blues en scène", bref que des passionnés de blues sous toutes ses formes (delta, hill country...)!
En 2016, la programmation a volontairement une couleur "gospel" avec la présence de vrais et faux révérends. Parmi les "vrais" (les plus religieux): K.M. Williams, Gabe Carter, Leo Bud Welch. Parmi les "faux" (les plus profanes): DeadEye (et encore ça se discute...), James Leg et Beatman.
Le festival est ouvert par le chœur gospel local, Madrijazz, mais les choses vraiment sérieuses commencent dès 19h avec le set de Mississippi Gabe Carter (interviewé en 2013 à Binic). Si sa fameuse guitare Kay et son stompbox sont toujours là, le son a un peu évolué (moins de reverb peut-être) même sur ses classiques comme "Ain't it a shame". Une certitude reste: son répertoire donne une large place à la musique religieuse. Mais, sans le dire, ce prêcheur est aussi un peu filou en nous gratifiant d'une version personnelle, rapide et enlevée de "I am born to preach the gospel" (de Washington Philips - 1928). Les plus chanceux, matinaux ou croyants (c'est selon) auront même eu le plaisir de l'entendre le dimanche matin dans le temple de Crissier.
Le Révérend K.M. Williams est un personnage à lui tout seul, alternant
explications de texte, commentaires sur le blues et blagues légères sur le chocolat suisse ou
les rapports entre les gents masculine et féminine, avec le regard tantôt pénétrant, tantôt malicieux. Aidé
de sa guitare, il enfonce le clou planté par le répertoire de Gabe Carter ; l'homme aimante l'attention du public de façon rare. On notera sa reprise de "Sittin' on the top of the world" (enregistrée par Walter Vinson et Lonnie Chatmon, membres des mythiques Mississippi Sheiks en 1930) où le bourdon de sa cigar-box (aussi appelée one-string guitar) remplace le violon originel. Lorsque le Révérend croise Gabe Carter, on sent une camaraderie et un respect mutuel - le 1er s'est d'ailleurs occupé de l'office lors du mariage du 2nd.
Reverend DeadEye, peut-être le plus rock'n roll des prêcheurs profanes.
DeadEeye et son batteur (une sorte de sosie de Mario?) se connaissent
par cœur, ce qui donne libre cours à DeadEye pour proposer quelques
variations scéniques de ses propres chansons. Comment ne pas se remuer
sur "Drunk on Jesus"? Verser une larme sur "Underneath the Ground"? Le boogie et la religion ne sont pas incompatibles (contrairement à ce que voudrait nous faire croire Laying Martine Jr - la version de Jerry Lee Lewis).
Parce que d'autres en parlent peut-être mieux que nous (et que notre mémoire nous fait parfois défaut - surtout quand on termine un article 6 mois après l'avoir commencé), on vous laisse le soin de lire les impressions qu'ont laissées le légendaire Mighty Mo Rodgers ou encore le Reverend Beatman (qu'on croise régulièrement en France lors de festivals). Soyez rassuré(e), la soirée ne s'est pas arrêtée pour autant puisque des jams se sont organisés entre les différents musiciens, avec notamment les deux compères de The Two (qui offraient leur service côté sonorisation), sous une tente installée derrière la scène. L'ambiance y était cool, à l'image du festival. Il faut dire que les efforts déployés par l'organisation pour permettre aux artistes de se sentir comme chez eux étaient non négligeables (un catering hyper alléchant, des bénévoles motivés et au petit soin, une masseuse...).
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En matière d'entrée sur scène à un festival de blues, on peut dire que celle de Floyd Beaumont & the Arkadelphians restera dans les annales. Le groupe suisse en oublie complètement la douce régularité des trains des CFF et nous embarque d'office dans un rutilant sermon ferroviaire où chaque arrêt est une repère de pêcheurs (jeu, vol...). Le regard de Dieu, prêt à nous marquer au fer rouge, est presque sur nous! En réalité, leur version est une adaptation des sermons du révérend A.W. Nix où celui-ci fait référence au "Black Diamond Train", train reliant New-York à Buffalo jusqu'en 1960 et transportant également de l'anthracite [on remercie Enno Geissler d'avoir éclairé notre lanterne sur ce point]. Telle une locomotive à vapeur, le groupe se met en marche: harmonica, washboard, contrebasse, guitare, dobro... Face à nous prend forme un véritable string band. La rythmique impeccable fait son office, ça tape des mains, des pieds, ça remue du postérieur sur des morceaux traditionnels et éternels. "Deep Elm Blues" [enfin je crois que c'était ça...] et bien d'autres morceaux blues ou country pre-war [avant la 2nde guerre mondiale]. Les aficionados du festival se souviendront surement du 1er passage de Floyd Beaumont & the Arkadelphians (en 2011), et ont dû apprécier ce nouveau line-up. D'ailleurs on s'est laissé entendre dire que, cette fois, c'était la bonne, et qu'un 1er album serait bientôt en cours d'enregistrement. Gageons que vous serez nombreux à y jeter une oreille plus qu'attentive.
Molly Gene, la one-woman-band experte dans l'art de l'équilibre entre rage et blessure étouffée, dont le taulier du site (Frank) vous parlait déjà en 2011. Vu l'énergie dégagée sur scène, on a du mal à croire que Molly est, à ses heures perdues, professeure de yoga. Plutôt fuyante face aux demandes d'interview, elle se libère complètement sur scène et malmène sévèrement son footdrum. À certains, son chant rappelle le strohbass ("voix craquée" assez basse - comme sur "Delta Thrash Way"), d'autres y voient plutôt l'héritage d'un country blues ancestral. Elle pioche ses titres dans ses anciens albums (Hillbilly Love - 2010, Folk blues and Booze - 2011) comme les plus récents (Trailer Tracks - 2016, Dela Thrash - 2015). Ici aussi,
pas de fautes sur les reprises, avec notamment celle de "Standing in my
doorway crying" (de Jessie Mae Hemphill - fantastique blueswoman à découvrir absolument).
Le festival était aussi l'occasion de revoir Leo "Bud" Welch (déjà venu en 2014) qu'on avait croisé au Red's
de Clarksdale (Mississippi) quand il avait décidé de reprendre du
service. Évidemment, il ne faut pas s'arrêter aux efforts déployés par
cet octogénaire pour apparaître au mieux de sa forme dans cette messe du
blues: la guitare à paillettes rouges et ses (magnifiques) chaussures
assorties (à la guitare), le costume brillant avec une rose épinglée...
"une autre notion de la classe que Mighty Mo Rodgers!" oseront certains.
De tout son set, on regrettera la reprise de "Sweet Home Chicago"... Mais, comme aurait pu dire un grand échalas du haut de sa croix, "tout est pardonné".
Juste après, la capitale française du rock'n roll populaire,
Montreuil, a fait entendre sa gouaille et son style inimitable - entre
rock'n roll, chanson française, country, musique manouche... - pour nous
infliger une baffe musicale monumentale. Ah, les 4 gars de Johnny Montreuil,
cette touche incroyable avec ces solos d'harmonica sidérants (merci
Kik), avec la basse et la guitare flirtant avec le style rockab', et
puis cette voix! "Artiste de bar", "Wesh leur leur" (dédicace aux
contrôleurs de la RATP...), "Devant l'usine" (luttes syndicales), "J'ai
le cœur qui saigne" (une autre forme de blues?) ont su conquérir un
public en un instant. Il fallait entendre le public reprendre le refrain
sur "Le Blues du Ferrailleur": je m'en vais chiner la ferraille dans mon gros camion... pour la convertir en dollar dans mon beau camtar!
Fin connaisseur de Nina Simone, James Leg et son batteur (Matt Gaz) sont venus rappeler à l'audience que le Rhodes est un très bon clavier pour le rock'n roll et le gospel. Pas de fioritures, on retrouve la voix - teintée de whisky - et le jeu de claviers typiques des albums de James Leg, et des Black Diamond Heavies. Si vous n'avez un disque de lui et/ou de son groupe, il vous faudra absolument réparer cette faute sous peine de damnation sur 5 générations (6 si vous travaillez chez Planetgong...).
Clou du festival: la participation du Cedric Burnside Project! Petit-fils de R.L. Burnside, Cedric propose une restitution d'un double- héritage familial dans un duo batterie - guitare avec Trenton Ayers (lui-même fils d'Earl "Little Joe" Ayers qui officiait dans le backing band de Junior Kimbrough). Depuis plusieurs années, Cedric entretient des liens d'amitié forts avec
Vincent Delsupexhe, et sa joie de pouvoir rejouer à Crissier est
communicative. En début de concert, Cédric et sa guitare font humblement face au public pour distiller un peu de son héritage personnel avec 2-3 chansons intemporelles, dont "Poor Black Mattie" (du paternel). Le duo Burnside-Ayers se met ensuite en place: Cédric au chant et à la batterie, Trenton à la guitare. Sous son chapeau noir, Trenton semble surexcité: il trépigne, sautille, fait quelques pas chaloupés avec sa guitare... "Wash my hands", "Sing about the blues", des versions revisitées de "Going down South" et "Going away" (du paternel), les titres s’enchaînent alors que la nuit est déjà tombée depuis longtemps... Le public est conquis, et nous aussi.
Là où les festivals les plus connus (Montreux Jazz, Cahors Blues...) se sont vautrés par le passé, notamment en programmant de têtes d'affiche "rock" (ou assimilés) plutôt insidpides (à côté de très bons artistes blues/folk il faut le reconnaître), le Blues Rules - lui - tire son épingle du jeu en proposant une programmation cohérente autour du blues.
Longue vie au Blues Rules!
(Pour prolonger le plaisir, on vous file aussi un dernier lien vers des interviews réalisés avec différents groupes sur un site suisse. En attendant qu'on trouve le temps de transcrire la longue interview avec le Reverend DeadEye...)
John the Revelator
Super papier (en dépit des attaques mesquines !), j'étais passé à côté. Beau boulot, ça donne vraiment très envie de s'y rendre... (la prog me faisait déjà bien baver cela dit, trop de chance d'avoir pu y assister !)
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