"Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé, et ceux qui creusent. Toi, tu creuses..."
En matière de blues, "creuser" peut parfois se révéler plus difficile qu'il n'y paraît. L'amateur de blues fait parfois le tour des revues en kiosque - malgré quelques journalistes compétents (ne bossant pas à Rawpowermag' donc) - et il se rend vite compte qu'il va falloir lire beaucoup pour commencer à comprendre le blues : géographie du "Sud profond", modèle social des communautés noires - hérité des anciennes structures africaines, emprunté/copié aux mœurs des propriétaires blancs, mais aussi développé in situ -, etc. En guise de préparation à un tel travail, il est même intéressant de lier le récit à la musique, voire à l'image. Et, il faut reconnaître que la récente sortie en version française d'un ouvrage de William "Bill" Ferris est probablement un outil adéquat pour le futur chercheur de "pépites" blues. Ceci dit, ne nous trompons pas: "Les Voix du Mississippi" n'est pas le premier ouvrage traduit en français et portant sur un tel sujet. On se souvient du livre "Le Pays où naquit le blues" d'A. Lomax (traduit par J. Vassal chez Les Fondeurs de briques) paru fin 2012. Un livre de cette envergure chaque année alors? Ce serait un doux rêve (auquel l'auteur de cet article ose timidement croire).
Otha Turner - Gravel Springs / 1976 ((c) W. Ferris - Papa Guédé) |
William "Bill" Ferris, né en 1942 à Vicksburg dans le Mississippi, a consacré sa vie à la connaissance de la culture et du folklore américains. Il commença sa carrière comme maître de conférence à l'université de Jackson, puis de Yale où il co-fonda, dans les années 70, un centre culturel: le Center for Southern Folklore. Il devint plus tard professeur d’anthropologie à l'université d'Oxford (Mississippi), puis dans celle White Chapel (Caroline du Nord).
Dans "Les Voix du Mississippi" (traduit par C. Ayakatsikas, paru chez Papa Guédé), W. Ferris compile plusieurs interviews, documentaires et photographies réalisés entre les années 1960 et 1970 dans le Mississippi. Les témoignages sont nombreux et variés: le travail et la musique dans la prison de Parchman à travers la vision croisée du Sergent Webb et des détenus, les souvenirs avec Otha Turner et son groupe de fife & drum lors des pique-nique, l'art populaire avec les crânes en terre de James "Son Ford" Thomas, Wade Walton et son fameux salon de coiffure, les spirituals et les prêches au sein des congrégations religieuses de Vicksburg et de New Haven, l'influence de la radio WOKJ, les house parties... Chaque témoignage est accompagné d'une carte de l'Etat du Mississippi, des photographies voir de films (certains littéralement extraordinaires) pris lors de l'interview ou de reportage. Vous l'aurez compris: si le blues est le dénominateur commun de tous les portraits, nombreux sont ceux qui ne concernent pas directement des artistes méconnus (Otha Turner) ou mondialement vénérés (BB King). Au-delà des frontières géographiques (le blues des villes / le blues des champs, celui des collines / celui de la plaine...), W. Ferris montre la compartimentation des idées et de la société de l'époque : le sacré et le séculier, le racisme... Peu importe l'âge des membres de la communauté noire, la musique et la religion ont une influence monumentale sur eux. Du bébé assistant à l'office, en passant par les nouveaux convertis immergés dans l'eau du Mississippi, jusqu'aux derniers instants de vie. Ce livre trace donc une partie des limites (morales?) entre ces deux pôles, mais aussi leur relation "symbiotique". Le révérend de la congrégation de St. James à New Haven l'illustre peut-être le mieux lorsqu'il déclare face à la caméra : "Nous ferons un joyeux tumulte pour le Seigneur, dit le Livre des Psaumes".
C.L. Redwine - comté de Cahoma ((c) W. Ferris - Papa Guédé) |
Se voulant aussi comme une porte vers un nouvel univers, ce bel ouvrage à la couverture de tissu bleu et au titre doré contient un livret décrivant une sélection d'autres ouvrages, revues, films, photographies, disques à découvrir sur le blues et son environnement. La phrase suivante n'est pas à prendre pour une critique (envers les autres ouvrages déjà parus traduits de l'anglais vers le français), mais là où W. Ferris et son équipe vont encore plus loin, c'est qu'il référence également des documents parus initialement en langue française! Le lecteur voit donc se matérialiser devant lui une barque, la fameuse "barque du passeur", celle qui l'emmènera de l'autre côté du fleuve.
Point de Styx donc ici, le Mississippi suffit. En traversant, vous verrez que l'eau est tout aussi trouble...
John the Revelator
Vidéo:
Les 3 trailers réalisés par les éditions Papa Guédé.
Un extrait de documentaire (en noir et blanc) réalisé par W. Ferris
PS: Achetez ce livre en librairie. Les libraires, comme vos disquaires, sont un élément essentiel de votre environnement culturel.
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