Pour comprendre les origines du commencement, il est sage de débuter par les prémisses du point de départ. Les aficionados du comput savent qu'après deux, il y a trois. Autrement dit qu'après Soft Machine Vol. 2, il y a Third. Et que dans deux des quatre faces de Third, Soft Machine joue du jazz. J'ai bien dit : du jazz. Pas du jazz-rock, non, non. Pas du free jazz, non, non. Un brit-jazz moderne et parfaitement accessible, qui prolonge les tentatives menées dans Esther's nose job, la seconde face du Vol.2. Le groupe tournera ensuite avec quatre souffleurs (Nick Evans au trombone, Mark Charig au cornet, Lyn Dobson au sax et à la flute, Elton Dean au sax). Les connexions entre les musiciens de Canterbury et le milieu du jazz britannique sont étroites, tous ces musiciens se retrouvent aussi bien chez Soft Machine que dans les les projets de Keith Tippett (Keith Tippett Group, Centipede) et même chez King Crimson (Lizard, Islands). La quatrième face de Third (Out-Bloody-Rageous) et surtout la deuxième (Slightly all the time) sont somptueuses bien que médiocrement enregistrées, cette dernière étant illuminée par un solo de sax stratosphérique d'Elton Dean sur un très beau thème de Ratledge (Backwards). La première face comporte un thème alambiqué de Hopper (Facelift) enregistré live et passablement inaudible (il y a de meilleures versions sur les BBC recordings).
La face essentielle de Third, c'est donc la … troisième. Elle est signée de Wyatt, qui chante et joue de tous les instruments sur la première moitié de ce Moon in June, un assemblage de chansons dont certaines étaient déjà présentes sur Jet Propelled photographs (That's How Much I Need You Now et You don't remember). Dans la seconde moitié, l'énorme bass fuzz de Hopper et l'orgue au son de serpent de Ratledge déboulent pour un passage instrumental émaillé de vocalises wyattiennes. Enfin, le morceau se termine par une longue plainte mi-nimaliste mi-chantée par Robert et le violon de Rab Stall. Difficile d'en parler mieux que dans cette chronique de Third dans R&F par Melmoth (Dashiell Hedayat) .
Au regard de l'ensemble de l'album, Moon in June apparaît bien comme un demi album solo de Wyatt à l'intérieur d'un disque de Soft Machine devenu un quartet de jazz instrumental. Visiblement, les autres membres du groupe ne veulent plus de la voix de Robert (« Je n'aimais pas le chant de Robert, de toute façon. Il y a très peu de chanteurs que j'aime. » Hugh Hopper, Best n° 54).
Glups.
Face A : "Facelift" (Hugh Hopper)
Face B : "Slightly All the Time" (Mike Ratledge) - Including: "Noisette" (Hopper), "Backwards" (Ratledge) and "Noisette Reprise" (Hopper)
Face C : "Moon in June" (Robert Wyatt)
Face D : "Out-Bloody-Rageous" (Ratledge)
En écoute ici :
http://grooveshark.com/#!/album/Third/429322
The End Of An Ear (1970)
Third a été enregistré au début de 1970. En août de la même année, Wyatt, « out-of-work pop singer, currently on drums with Soft Machine» dit la pochette, sort son premier album solo, The End of an Ear. La pièce maîtresse en est la reprise en deux parties d'une composition de Gil Evans, Las Vegas Tango. Robert y mène l'expérimentation beaucoup plus loin que dans Moon in June. Il y joue du piano acoustique, du piano électrique et de la batterie. Mais surtout, il pousse à son paroxysme ce que l'on ne peut appeler autrement que le babil wyattien : des vocalises haut perchées, souvent relayées par la chambre d'écho et le re-recording. Sur la pochette, il est crédité de « drums, mouth, piano, organ » : pas de paroles, la bouche est un instrument qui produit des sons, des onomatopées, des bruits ! C'est expérimental, oui, avant-gardiste, certainement et aventureux, n'en doutons pas … mais ça fonctionne ! Ça part dans tous les sens mais ça reste fluide et naturel, toujours spontané et sincère.
Face A : "Las Vegas Tango Part 1 (Repeat)" (Gil Evans) / "To Mark Everywhere" / "To Saintly Bridget" / "To Oz Alien Daevyd and Gilly" / "To Nick Everyone"
Face B : "To Caravan and Brother Jim" / "To the Old World (Thank You For the Use of Your Body, Goodbye)" / "To Carla, Marsha and Caroline (For Making Everything Beautifuller)" / "Las Vegas Tango Part 1" (Gil Evans)
Fourth (1971)
A la fin de l'année, le groupe sort un autre album, simple cette fois, qui, dans un accès de frénésie créatrice débridée, est intitulé Fourth. Pas une seule compo de Robert à l'horizon, nul embryon de couplet ni ébauche de vocalise. Nada. Que couic. Ceci dit, sur ce disque - de jazz, donc – parfaitement enregistré contrairement à son prédécesseur, le jeu de batterie de Wyatt est parfaitement exceptionnel. Il a souvent proclamé son admiration pour Tony Williams et, mazette, cela s'entend. Après une tournée américaine en juillet 1971, Wyatt quitte le groupe. Alors que les désaccords sur la ligne musicale et sur la place du chant dans le groupe étaient évidents, Wyatt a fréquemment déclaré dans les interviews avoir été viré du groupe et semble en avoir conçu quelque amertume (« En réalité j'ai été viré et l'ai très mal vécu, tout comme mon échec scolaire. Cette éviction a renforcé un manque de confiance en mes capacités. » R&F n°385).
Re-glups.
Face A : "Teeth" (Mike Ratledge) / "Kings and Queens" (Hugh Hopper) / "Fletcher's Blemish" (Elton Dean)
Face B : "Virtually Part 1" (Hopper) / "Virtually Part 2" (Hopper) / "Virtually Part 3" (Hopper) / "Virtually Part 4" (Hopper)
En écoute ici :
http://grooveshark.com/#!/album/Fourth/3741156
En tout état de cause, Robert a désormais le chant libre - :) - il réunit autour de lui l'organiste David Sinclair qui a quitté Caravan pour le rejoindre, le guitariste Phil Miller déjà entendu sur Waterloo Lily et le bassiste Bill McCormick, ancien du groupe de Phil Manzanera, Quiet Sun. En bon dadaïste francophile, Wyatt nomme ce groupe Matching Mole (pas besoin de faire un dessin, uh ?).
Peter Mermoz Steinhauser
- La suite ici -
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