A la lumière des ouvrages consacrés au blues, le lecteur se rend rapidement compte que l'histoire du blues n'a pu se raconter que par l'intermédiaire d'une rencontre, celle d'un artiste avec un autre, d'une légende oubliée avec un de ses « redécouvreurs »... Notre rencontre, celle du monde du blues (pour peu qu'on l'apprécie vraiment), est alors essentiellement intérieure. En écoutant les enregistrements, l'oreille efface le bruit de fonds feutré propre à chaque enregistrement sur acétate et le cœur se laisse toucher par la musicalité, parfois rustre, du blues. En relisant les interviews : le temps peut se sublimer, la lumière change et on respire une atmosphère digne d'un roman de Steinbeck.
Vient alors le jour forcément surréaliste, où la lumière est celle du jour moderne, et sous lequel Rawpowermag' se retrouve à interviewer un vrai bluesman. Non, pas de la génération de Junior Kimbrough / T-Model Ford / RL Burnside / Rudie Burnette, mais celle plus proche de nous : de Mississippi Gabe Carter / Mark Porkchop Holder... A la faveur d'un nouvel album distribué par Nayati Dreams (tenu par quelqu'un qui est bien plus qu'un disquaire, un vrai amateur de blues !), on a eu l'occasion d'écouter Like A Apple On A Tree et d'interviewer CR Humphrey, aka Old Gray Mule (lorsqu’il joue en groupe), par email.
Like A Apple On A Tree est donc le dernier album du guitariste-chanteur de Lockhart, non loin d'Austin (Texas). En continuant dans le sillon des œuvres précédentes (Debut Album, Forty Nickels For a Bag of Chips et A Day In MS, A Night in TX), ces dix titres nous replongent dans le hill country blues : un blues particulier où les répétitions mélodique et rythmique invitent progressivement l'auditeur(trice) à la danse.
La guitare électrique de CR Humphrey donne une touche moderne qui n'altère pas pour autant la forme traditionnelle de ce blues, comme sur « Blue Front », et permet de revisiter deux titres de RL Burnside : « Come On In » et « Someday Baby ». Malgré quelques sonorités proches du style Bentonia, plusieurs riffs se rapprochent de morceaux stomp ou punk-blues dignes de Scott H Biram ou encore des Left Lane Cruiser.
Bien que cet album ait été voulu comme un disque « à écouter en conduisant » (exemple supplémentaire de la modestie de CR Humphrey), on est impressionné de constater de la qualité des autres musiciens présents, autant à la batterie qu'à l'harmonica ou au chant : Snooks la Vie (ancien membre des Hiptones, chanteur et harmoniciste), CW Ayon (one-man band venu jouer de la batterie et chanter), Cedric Burnside (petit-fils de... et excellent batteur), Dave Sims Jr (batteur), Jason Wilburn (batteur) et Lightnin Malcolm (guitariste jouant souvent en duo avec Cedric Burnside, mais qui pour le coup vient tenir lui aussi les fûts et pousser la chansonnette).
Bref, à chaque titre, un line-up changeant et des conditions d'enregistrement différente (4 studios utilisés pour 10 pistes!) avec comme dénominateur commun : CR Humphrey...
La guitare électrique de CR Humphrey donne une touche moderne qui n'altère pas pour autant la forme traditionnelle de ce blues, comme sur « Blue Front », et permet de revisiter deux titres de RL Burnside : « Come On In » et « Someday Baby ». Malgré quelques sonorités proches du style Bentonia, plusieurs riffs se rapprochent de morceaux stomp ou punk-blues dignes de Scott H Biram ou encore des Left Lane Cruiser.
Bien que cet album ait été voulu comme un disque « à écouter en conduisant » (exemple supplémentaire de la modestie de CR Humphrey), on est impressionné de constater de la qualité des autres musiciens présents, autant à la batterie qu'à l'harmonica ou au chant : Snooks la Vie (ancien membre des Hiptones, chanteur et harmoniciste), CW Ayon (one-man band venu jouer de la batterie et chanter), Cedric Burnside (petit-fils de... et excellent batteur), Dave Sims Jr (batteur), Jason Wilburn (batteur) et Lightnin Malcolm (guitariste jouant souvent en duo avec Cedric Burnside, mais qui pour le coup vient tenir lui aussi les fûts et pousser la chansonnette).
Bref, à chaque titre, un line-up changeant et des conditions d'enregistrement différente (4 studios utilisés pour 10 pistes!) avec comme dénominateur commun : CR Humphrey...
Pour mieux comprendre le phénomène, on lui a posé des questions, non sans quelques fautes d'anglais/américain et une pointe d'humour à 2 francs.
John the Revelator : D'où vient le nom du groupe, « Old Gray Mule » / « La Vieille Mule Grise », ? Y a-t-il un lien avec l'ancienne comptine populaire « Old Grey Mare » / « La Vieille Jument » ? [un jeu de mots en introduction, quel professionnalisme sur Rawpowermag']
Old Gray Mule : Haha ! Non, pas de relation avec cette chanson populaire... J'ai tiré le nom de deux sources. La première correspond à une chanson de Belton Sutherland, tirée du documentaire « Land Where Thes Blues Began » / « Le Pays où Naquit le Blues » d'Alan Lomax :
Mais également, lorsque ma femme était enceinte de notre premier enfant, elle avait l'habitude de dire que notre fille lui botterait un jour le cul comme une vieille mule grise... et j'ai commencé à écrire mes propres chansons peu après la naissance de ma fille.
JtR :Quels ont été tes débuts en tant que musicien ? Comment as-tu découvert le hill country blues ?
OGM : J'ai commencé à jouer de la guitare lorsque j'avais environ 12 ans, en jouant tout un tas de styles différents, mais le blues et la funk étaient toujours présents. J'ai toujours adoré le groove de John Lee Hooker et j'ai commencé à chercher n'importe quel blues rustique/brut et groovy, ce qui m'a naturellement conduit à la musique de RL Burnside, qui de fil en aiguille m'a fait découvrir tous ceux ayant enregistré du blues électrique rural. Je me suis acharné à jouer dans la style de RL Burnside mais je ne pouvais pas ralentir suffisamment le tempo, et, jusqu'à ce que j'entende Cedric et Malcom, je pensais que cette musique ne pouvait être jouée que par des vieux bluesmen du fin fond du Mississippi. Lorsque j'ai vu Ced' et Mal' jouer, ils appartenaient à la même génération que moi alors je me suis rendu compte que s'ils pouvaient le faire, alors moi aussi. J'ai commencé à ETUDIER le hill country blues et finalement à écrire des morceaux.
JtR : Par quel moyen as-tu étudié le blues ?
OGM : Par « étude », je veux dire que : j'ai acheté chaque album de hill country blues que j'ai pu trouver, regardé tous les documentaires parlant de ces musiciens-là, visionné chaque vidéo sur Youtube que j'ai pu trouver sur eux, allé à tous les concerts, joué par-dessus chaque album même s'il fallait s'accorder uniquement à l'aide de la chanson, rencontré chacun de ces gars tant qu'ils étaient encore vivants , joué ou enregistré avec leurs parents...
Ce que j'ai découvert, c'est que le hill country blues, ou le blues des juke joints, est une forme de musique : basée sur le RYTHME, basée sur les SENTIMENTS, basée sur le TIMING. C'est un moyen pour jouer de façon dynamique (en jouant - tout à la fois - fort, faiblement, doucement, rapidement dans le même morceau), mais ce n'est PAS un tremplin pour faire des solos (ce qui, d'après moi, est la raison de vivre de la moitié des joueurs de blues). Enfin, en citant Kinney Kimbrough (batteur et fils de Junior Kimbrough) "Tu peux jouer du blues, ou pas, suivant que tu le ressentes ou non."
Le blues rural est porté par son rythme et par conséquence, il n'est pas basé sur d'poustouflants solos de guitare ou un jeu de scène. Il n'y a rien de brillant, de flashy, tout est dans la chaleur. C'est la musique la plus honnête/modeste jouée par des hommes ne tentant pas d'être autre chose que ce qu'ils sont. L'UNIQUE but de tout ça est de permettre aux gens de passer un bon moment. Ce n'est pas une question de groupe, c'est une question de danser, transpirer, boire, s'amuser ou faire l'idiot. Il y a de la joie, du plaisir, dans cette musique.
JtR : Sur cet album, tu joues avec de nombreux musiciens Cedric Burnside, CW Ayon, Dave Sims Jr, Jason Wilburn, Lightnin Malcom and Snooks la Vie. Comment les as-tu rencontrés ?
OGM : J'ai rencontré Cedric et Lightnin à Austtin (Texas) lorsqu'ils sont venus jouer au Continental Club. Depuis, je suis allé à tous leurs concerts sauf un ! CW Ayon et moi nous sommes aussi rencontrés lorsqu'il est venu à Austin : il est resté dormir à la maison et je l'ai finalement invité à venir avec nous au Juke Joint Festival (Clarksdale, Mississippi).
Quant à Dave Sims Jr, il était le batteur dans un groupe qui jouait au Antone's à Austin alors que Lightnin Malcolm et moi jouions un soir en duo là-bas... Moi, à la guitare, Lightnin à la batterie.
Jason Wilburn, je l'ai vu tenir la batterie pour Robert Kimbrough Jr au Juke Joint Fest mais je ne l'avais pas réellement parlé jusqu'à ce qu'il vienne lui aussi jouer à Austin avec Lightnin Malcolm. Quant à Snooks La Vie, notre rencontre a eu lieu à Adélaïde (Australie) lorsqu'il a joué en 1ère partie à la soirée de lancement de mon album « A Day in MS... ». J'ai entendu sa façon de jouer de l'harmonica , je lui ai proposé de se joindre à nous sur scène et il a accepté. C'était un concert génial !
JtR : « Like a Apple On a Tree » renvoie à la réponse que vous a faite T-Model Ford lorsque vous lui avez demandé : « Comment ça va T ? ». Ton album lui est d'ailleurs dédié et l'album commence par une reprise de RL Burnside, avec Cedric Burnside (un de ses petit-fils). Est-ce un moyen de rendre hommage aux générations précédentes de bluesmen ?
OGM : Chaque album que j'enregistre est un hommage à ces anciens bluesmen. Je n'ai pas inventé un style, donc je me sentirais mal si je ne tirais pas mon chapeau à ceux qui m'ont précédé... J'ai une grande dette envers eux.
JtR : « Issaquena » a déjà été publiée sur un album précédent. Que pensez-vous de vos albums précédents (« A Day In MS, A Night in TX » , « Forty Nickels for a Bag of Chips »...) ?
OGM : J'ai déjà fait 4 albums et ils sont tous différents et similaires à la fois. Le premier, « Sound Like Somthin Fell Off The House », est sorti en 2010. Il a été enregistrée dans une vieille église d'origine lituanienne en plein centre du Texas, avec la collaboration de Mississippi Gabe Carter au chant pour un morceau. Le second, « 40 Nickels for A Bag of Chips » est sortir en 2011. Il a été enregistré en 2 heures du côté de Como (Mississippi), Kinney Kimbrough à la batterie. « A Day In MS, A Night In TX » est aussi sorti en 2011 avec la participation de Bill Abel et CW Ayon. C'est un album-hommage où toutes les chansons sont des reprises enregistrées au studio de Bill dansle Mississippi ou enregistrées live lors de la 2nde soirée soirée pour l'anniversaire de Junior Kimbrough au Texas.
JtR : La plupart (tous?) des titres de « Like a Apple On a Tree » ont été enregistrés ave la même guitare : une Telecaster. Certaines personnes prétendent que vous l'avez construite vous-même. Est-ce vrai ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
OGM : Tous les titres ont été enregistrés sur des Telecasters... Les titres en accords ouverts l'ont été avec une Telecaster Custom jaune et noir horriblement moche, qui correspond plus ou moins au modèle d'origine, excepté qu'elle ne possède que 5 cordes et reste accordée en accord ouvert de Fa. L'autre Squier Telecaster que j'utilise pour les morceaux à accordage standard a été fabriquée à partir de différentes pièces. A la base, j'aime beaucoup les manches de Squier Tele fabriqués en Indonésie, ils ont une finition très fine et douce... et j'aime aussi des micros P-90, donc j'ai fabriqué une guitare de façon à ce que j'en aime la forme et le son. De plus, lorsque les gens voient le logo Squier sur la tête de la guitare, ils supposent qu'elle ne vaut pas grand chose et ainsi n'essaieront pas de me la voler !
JtR : Tant qu'on y est à parler guitare et matos, il y a une petite question intéressante : peourrais-tu nous expliquer comment tu t'es retrouvé avec la guitare de RL Burnside entre les mains durant un petit essai courant 2011 ?
OGM : Keith Mallette, qui gère le label Hillgrass Bluebilly Records, l'a trouvée sur ebay et l'a achetée. Quelques jours plus tard, il m'a appelé et m'a demandé si j'étais intéressé de jouer avec. Je pense que j'ai déjà joué avec durant un concert au TC's si je me souviens bien. A l'époque, j'étais prêt à faire quelques enregistrements mais aucun batteur n'était disponible à ce moment-là. Keith l'a finalement offerte au Delta Blues Museum de Clarksdale, et je lui suis énormément reconnaissant de m'avoir laissé jouer un petit moment avec.
JtR : « Banda de Gypsies » est assez différent du reste de l'album : ses racines remontent à deux morceaux de Jimi Hendrix, « Machine Gun » et « Who kows », avant de terminer par une reprise de « Rock you Like a Hurricane » qui vous, toi et CW Ayon, a faite bien rire. [Je préfère ne pas savoir quelle sorte de pouvoir mystique, sombre et dérangé, vous a conduits à choisir cette chanson ! Argh ! ]. Excepté le blues,quelles sont vos influences musicales ?
OGM : La musique qui m'aide à donner forme à ce que je joue en tant que Old Gray Mule est le blues rural mélangé avec de vieux gospels et de vieux funks. En ce qui concerne la musique que j'écoute et que j'apprécie ? Dans ma voiture en ce moment, j'ai Clotaire K (du hip-hop libanais), Parliament Funkadelic, Cedric Burnside & Lightnin Malcolm, John Lee hokker, Bob Wills & the Texas Playboys, the Yearlings (Asutralie), et Electric Six.
JtR : Plusieurs documentaires (« We Juke up in Here », etc) décrivent l'environnement du blues : les juke joints, les rent/house parties, etc. Sur ton album, est-ce que « Blue front » fait référence au Blue Front Café appartenant à Jimmy « Duck » Holmes ? As-tu une attirance particulière pour ce genre d'endroits?
OGM : Oui, c'est bien à propos du Blue Front à Bentonia. On a formé une sorte de groupe autour de Duck pour un concert à Bentonia le vendredi précédant le Juke Joint Festival (qui a lieu à Clarksdale, MS). Duck a joué un lick pendant ce jam et il m'est resté en tête durant tout le week-end. J'ai écrit une chanson basée sur ce lick et ce que je ressentais grâce à lui.
Autrement, oui j'adore jouer dans de vieux jukes joints dès que je peux. En 2010, nous avions l'habitude de jouer chaque vendredi soir au TC's Lounge (le dernier jukejoint tenu par un noir à Austin, Texas), mais il y a vraiment TRES peu de vrais jukes joints où on joue ce blues brut que j'apprécie.
JtR : T-Model Ford, Mississippi John Gabe, David Evans...beaucoup de bluesmen ont traversé l'Atlantique pour faire une tournée en Europe. Aura-t-on la chance de vous voir bientôt en France ?
OGM : Mec, il n'y a rien que j'aimerais plus que de venir en Europe et vous jouer cette musique !
JtR : Lors d'un festival, un groupe peu partager la scène avec un autre, ou inviter un(e) musicen(ne). Sur notre blog, tu es libre de faire la même chose. Y a-t-il un ou des musicien(s) – injustement méconnus ou trop peu connus – que tu souhaiterais faire découvrir à nos lecteurs ?
OGM : Musiciens vivants : RL Boyce, Duck Holmes, Bill Abel, CW Ayon, Chris Russell (Australie), Hosea Hargrove, Orange Jefferson, Odell Harris, Robert Kimbrough, Johnny Hurricane Jones et un tas d'autres.
Musiciens disparus : Willie King, Belton Sutherland, Rainie Burnett, Jessie Mae Hemphill, Clifton Chenier et tout un tas d'autres.
Un immense merci à CR Humphrey / Old Gray Mule pour avoir pris le temps de discuter avec Rawpowermag' malgré le niveau d'anglais approximatif et nos tentatives d'humour (relativement nulles, on en convient). Grâce à sa disponibilité et sa bonne humeur, cette interview a été un vrai plaisir.
On remercie ici Nayati Dreams sans qui cette découverte musicale et cette interview n’auraient jamais pu être.
Pour ceux qui voudraient admirer le style (inimitable) de votre rédacteur en langue anglaise :
John the Revelator
Tracklist :
« Come On In »
« Cotton Patch Disco »
« Blue Front »
« Sexy Mufuggin Dance Party »
« Break For Me »
« Thanksgiving '12 »
« Someday Baby »
« Issaquena '12 »
« Standin There Cryin »
« Banda de Gypsies »
Audio :
Vidéo :
Enregistrement de « Blue Front »
CR Humphrey jouant avec la guitare de RL Burnside
Lancement de l'album « Like A Apple On A Tree »
Achat :
Chez Nayati Dreams (évidemment) : http://www.nayatidreams.fr/product.php?id_product=321
Sources :
Site de Old Gray Mule / CR Humphrey : http://www.oldgraymule.com/
Dirty City Chronicles : http://dirtcitychronicles.blogspot.fr/2012/10/old-gray-mule-like-apple-on-tree.html
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Super.
RépondreSupprimerMerci de soutenir de bons albums les gars, et merci à John the Revelator.