28 avril 2011

Hunter S. Thomson - Hell's Angels

Le 20 février 2005, Hunter S. Thompson se faisait sauter le caisson.
La nouvelle m'avait séché. Grand admirateur du bonhomme, découvert grâce à l'excellent film de Terry Gilliam, j'étais écoeuré : plus jamais je ne pourrai découvrir de nouveaux textes de ce grand malade de Dr Gonzo... Fear & Loathing in Las Vegas m'a fait bander comme jamais. The Great Shark Hunt m'a plongé avec délectation dans la folie de la campagne de 72, en plein Watergate. Rhum Diary m'a ennivré. Gonzo Highway permet de retracer le parcours de ce journaliste fou à travers lettres et télégrammes...

Mais c'est de Hell's Angels dont je vais vous parler. Pourquoi ? Parce que c'est un bouquin qui m'a marqué. Je l'ai lu trois fois. Et je le relirai encore. Il agit sur moi comme une machine à voyager dans le temps. Je me vois dans les bottes d'Hunter, je m'imagine à San Francisco, humant l'air du flower power, du psychédélisme naissant, juste avant le vietnam, juste après l'arrivée des Beatles, cette putain de deuxième moitié des sixties, les mecs...! Tous mes groupes de rock fétiches ont débuté pile poil à cet instant. Tous ! Comment ne pas vouloir toucher du doigt cette période fantastiquement créatrice ?

Et Hunter créa le journalisme Gonzo. Un journalisme subjectif. Au coeur de l'action, on raconte ce qu'on ressent. Et peu importe si on a ingurgité des quantités phénoménales d'alcools ou de stupéfiants...
L'intérêt c'est de proposer une réflexion au spectateur, pardon, au lecteur.

Les Hell's Angels furent un formidable sujet d'étude pour Hunter. Des mecs qui font des bras d'honneur à l'Etat, bourrés de contradictions, ivres du matin au soir, violents, haïs de tous, jalousés du coin de l'oeil, pilotant des monstres chromés, cheveux au vent, jusqu'au prochain lieu de leur forfait ? Un défi à sa (dé)mesure. Il se solda par un passage à tabac laissant Hunter sur le carreau mais le livre était publié. Et quel livre !

Une galerie de portraits inconoclastes passe devant nos yeux : Sonny Barger, Frenchy, Terry le clodo, Minus, Magoo et bien d'autres...Tous ont leurs histoires, anecdotes et citations. C'est un florilège et je ne résiste pas au plaisir de lâcher quelques phrases :

« Nous, mon pote, on est des irréductibles. Dans une Amérique conditionnée à quatre-vingt-dix-neuf pour cent, on est les un pour cent d'irréductibles inconditionnables, et on crache dans leur soupe. Alors, mon pote, viens pas me parler Sécu et contredanses parce que, laisse-moi te dire, tu prends ta femme, ton banjo, ta bécane et tu te tires. On a eu cent fois à se battre, et on s'en est toujours tiré à coups de poings et de botte. Laisse-moi te dire, mon pote, que sur la route, on est les rois. »

« Mec, ce Jack avait pas son pareil. Il trimballait toujours une paire de vieilles tenailles rouillées et suffisait de l'aiguiller sur des filles inconnues. Mec, il les renversait par terre pour leur arracher les dents avec ses foutues tenailles. Une fois, dans un bar, il s'est froidement arraché une dent : les gens en croyaient pas leur yeux. Après se l'être extirpée, il l'a posé sur le bar pour la troquer contre un verre. Il crachait le sang par terre, et le barman était trop secoué pour protester .».



Les Hell's Angels firent les choux gras de la presse, ce fut un phénomène national à l'époque, tous les regards convergeaient vers cette bande de primates hirsutes, armés, défoncés, indépendants et dangereux au possible, vomissant leur haine sur la société bien pensante. Leur rage contre les « gauchos » ne les empêchera pourtant pas de fricotter avec Ken Kesey, Allen Ginsberg et toute la bande des Merry Pranksters dont l'aventure est contée par Tom Wolfe dans Acid Test. En effet, le LSD fut légal durant une courte période et les Hell's Angels ne se privèrent pas d'hallus achetées à bon compte, participants aux fiestas débridées à La Honda, sous les yeux des flics impuissants.
Hunter détaille également les rapports des Angels avec les autres bandes. Car il n'y avait pas que les Hell's Angels. La Californie avait également droit à ses Satan's Slaves, Gypsy Jokers, Commancheros et autres Booze Fighters...Des bandes toutes aussi redoutables mais moins importantes par le nombre. Une hiérarchie de la sauvagerie, en somme.
Pourtant ces motards sauvages fascinaient le public car, comme le dit Hunter, « les rues de toutes les villes sont pavées de mecs qui donneraient tout l'or du monde pour se métamorphoser, ne serait-ce qu'un jour, en brutes chevelues et ravageuses, affrontant les flics, extorquant des verres aux barmen terrifiés et quittant la ville à pleins gaz après avoir violé la fille du banquier ».
Evidemment, beaucoup de fausses informations - notamment les viols en pagaille - circuleront à cause de la presse, gavant ainsi la poule aux oeufs d'or. Hunter dénonce cette manipulation du quatrième pouvoir américain en comparant les différents points de vue des protagonistes et en redressant quelque peu des « vérités » bien tordues.

Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ce bouquin est tout sauf une ode aux Angels. Hunter n'hésite pas à pointer du doigt leurs faiblesses, leur bêtise crasse et leurs opinions pourries jusqu'à l'os. Pour autant, il parvient (malgré lui ?) à les rendre extrêmement attachant. Un tour de force car pour terminer sur une dernière citation d'un motard agacé par les anathèmes :

« Ouais, j'suis peut-être un perdant...Mais t'as devant toi un perdant qui va foutre une sacrée merde avant de quitter cette terre. ».



Mr BOF

4 commentaires:

  1. Merci pour ce rappel sur ce livre digne d'intérêt.
    Quelqu'un a t-il lu la biographie de l'auteur sortie l'an dernier ?

    RépondreSupprimer
  2. Tu fais référence à la BD sortie sous le titre "Gonzo: A Graphic Biography of Hunter S. Thompson " ?

    Pas lue pour ma part.

    Sinon y a aussi le documentaire "Gonzo: The Life and Work of Dr.Hunter S.Thompson".

    La voix off est de Johnny Depp, c'est un docu intéressant.

    RépondreSupprimer
  3. Non je crois qu'il parle de "Journaliste et hors-la-loi" de William McKeen qui est sorti l'an passé.
    Il s'agit je crois de la première bio en français sur le maître du gonzo.

    Pas lu pour ma part mais c'est dans ma "whishlist" ...

    Frank

    RépondreSupprimer
  4. Ah oui exact ! Non je l'ai pas lu non plus (mais ça ne saurait tarder).

    Du coup j'ai mis la main sur un film de 1980, peu connu, retraçant la vie de journaliste d'Hunter : "Where the buffalo roam" avec Bill Murray. J'ai regardé quelques images, ça fait bizarre de voir Bill Murray tout droit sorti de Las Vegas Parano 18 ans avant que le film ne sorte......

    RépondreSupprimer