Beck, donc, ou les caprices de la mode. En 1993, lorsque le californien débarque avec "Loser", il met tout le monde à genoux. Tube bricolé, refrain sardonique, rythmique rouillée mais imparable : "Loser" a tout bon. Avec Odelay (1996), Beck s'impose. Entre pop cubiste, folk antédiluvien et collages electro, Odelay refuse de choisir et, de ce fait, se révèle comme un des disques indispensables des années 90. Dès lors, le blondinet a la critique et le public dans sa poche et ses productions sont encensées de façon systématiques Les louanges sont méritées pour le très beau Mutations (1998). On se demande ce qui a pu motiver tant d'enthousiasme pour Midnight Vultures (1999), étrange exercice de style funky, dont le mauvais goût peut soit réjouir soit fortement agacer...
C'est à ce moment là que la bulle éclate pour Beck. D'artiste intouchable, il devient légèrement ringard. Un peu comme Björk...
Hélas, ce retournement de tendance parasite la réception, en 2002, de Sea Change. L'album est jugé parfois négativement : trop maniéré, cachant ses faiblesses derrière l'écran sonore élaboré par Nigel Godrich, Sea Change déçoit quelque peu.
Tout faux, bien sûr. Ce disque est un must ! Entouré de la crème des musiciens, secondé par un Godrich qui vient recoller les morceaux (de nombreux producteurs se sont succédés au chevet d'un album dont la naissance fut délicate), Beck livre un disque étonnant. A l'écoute de Sea Change, on a le sentiment d'assister à une apocalypse tranquille, à un tremblement de terre filmé au ralenti. Coup de génie : enregistrer un disque sombre, mélancolique, cafardeux, mais sans jamais tomber dans le pathétique. Beck, tout au long de l'album, semble étrangement en retrait, détaché, et sussure, l'air de rien, des paroles d'une noirceur totale. Morceau après morceau, il est question de mort, de paysages désolés, de tombeaux, de larmes. L'espoir est bien maigre : " There's distant lights but here they're far and few/And the sun don't shine even when it's day". On nage en pleine nervous breakdown..., mais jamais Beck ne râle ni ne geint. Le désespoir, réel ou joué, est servi glacé.
D'où la joliesse des chansons, les afféteries de la production (touches fugaces de glockenspiel, de slide guitar, de clavier), les rythmiques moelleuses... Pas question de se laisser aller. Ce mixte de noirceur et d'élégance, Serge Gainsbourg l'a popularisé, et il n'est guère étonnant que Beck rende hommage au maître avec le sublime "Paper Tiger". Les basses, les arrangements de cordes, les guitares acides, tout, dans ce morceau, rappelle Gainsbourg. Tout, y compris le talent. Loin de photocopier l'original, Beck donne sa version, sa re-création de l'univers de Melody Nelson. C'est superbe.
Outre "Paper Tiger", Sea Change regorge de pépites. Les éclairs de slide de "The Golden Age" ou de "Lonesome Tears" illuminent le disque. Plus loin, les depouillées "Lost Cause" ou "It's All In Your Mind" sont des merveilles de folk délavé. Avec "Round The Bend", Beck tente le grand écart. La guitare et la voix s'inspirent ostensiblement de Nick Drake, les cordes, elles, magnifiques, évoquent les atmosphères d'Angelo Badalamenti. Avec ce superbe morceau, on a l'impression de rouler au ralenti sur Mulholland Drive. Quasi immobile, "Round The Bend" hypnotise. C'est du grand art.
Vous l'avez compris, Sea Change est indispensable...
Mr. Pop
(http://www.myspace.com/beck)
Tracklisting :
1. The Golden Age
2. Paper Tiger
3. Guess I'm Doing Fine
4. Lonesome Tears
5. Lost Cause
6. End Of The Day
7. It's All In Your Mind
8. Round The Bend
9. Already Dead
10. Sunday Sun
11. Little One
12. Side Of The Road
L'album en écoute sur deezer :
http://www.deezer.com/fr/#music/beck/sea-change-103257
Quelques vidéos :
C'est à ce moment là que la bulle éclate pour Beck. D'artiste intouchable, il devient légèrement ringard. Un peu comme Björk...
Hélas, ce retournement de tendance parasite la réception, en 2002, de Sea Change. L'album est jugé parfois négativement : trop maniéré, cachant ses faiblesses derrière l'écran sonore élaboré par Nigel Godrich, Sea Change déçoit quelque peu.
Tout faux, bien sûr. Ce disque est un must ! Entouré de la crème des musiciens, secondé par un Godrich qui vient recoller les morceaux (de nombreux producteurs se sont succédés au chevet d'un album dont la naissance fut délicate), Beck livre un disque étonnant. A l'écoute de Sea Change, on a le sentiment d'assister à une apocalypse tranquille, à un tremblement de terre filmé au ralenti. Coup de génie : enregistrer un disque sombre, mélancolique, cafardeux, mais sans jamais tomber dans le pathétique. Beck, tout au long de l'album, semble étrangement en retrait, détaché, et sussure, l'air de rien, des paroles d'une noirceur totale. Morceau après morceau, il est question de mort, de paysages désolés, de tombeaux, de larmes. L'espoir est bien maigre : " There's distant lights but here they're far and few/And the sun don't shine even when it's day". On nage en pleine nervous breakdown..., mais jamais Beck ne râle ni ne geint. Le désespoir, réel ou joué, est servi glacé.
D'où la joliesse des chansons, les afféteries de la production (touches fugaces de glockenspiel, de slide guitar, de clavier), les rythmiques moelleuses... Pas question de se laisser aller. Ce mixte de noirceur et d'élégance, Serge Gainsbourg l'a popularisé, et il n'est guère étonnant que Beck rende hommage au maître avec le sublime "Paper Tiger". Les basses, les arrangements de cordes, les guitares acides, tout, dans ce morceau, rappelle Gainsbourg. Tout, y compris le talent. Loin de photocopier l'original, Beck donne sa version, sa re-création de l'univers de Melody Nelson. C'est superbe.
Outre "Paper Tiger", Sea Change regorge de pépites. Les éclairs de slide de "The Golden Age" ou de "Lonesome Tears" illuminent le disque. Plus loin, les depouillées "Lost Cause" ou "It's All In Your Mind" sont des merveilles de folk délavé. Avec "Round The Bend", Beck tente le grand écart. La guitare et la voix s'inspirent ostensiblement de Nick Drake, les cordes, elles, magnifiques, évoquent les atmosphères d'Angelo Badalamenti. Avec ce superbe morceau, on a l'impression de rouler au ralenti sur Mulholland Drive. Quasi immobile, "Round The Bend" hypnotise. C'est du grand art.
Vous l'avez compris, Sea Change est indispensable...
Mr. Pop
(http://www.myspace.com/beck)
Tracklisting :
1. The Golden Age
2. Paper Tiger
3. Guess I'm Doing Fine
4. Lonesome Tears
5. Lost Cause
6. End Of The Day
7. It's All In Your Mind
8. Round The Bend
9. Already Dead
10. Sunday Sun
11. Little One
12. Side Of The Road
L'album en écoute sur deezer :
http://www.deezer.com/fr/#music/beck/sea-change-103257
Quelques vidéos :
Eh eh, encore une belle chronique, tout est dit!
RépondreSupprimerJ'ai par contre un avis beaucoup plus réservé sur le disque, je viens de le réécouter et je me suis un peu fait chier, quand même. Bon, cela dit, je me méfie, aucun des albums de Beck ne m'a sauté à la tronche immédiatement (même pas Odelay, c'est dire!). Mais là, quand même... ça m'a l'air un peu trop propret et linéairement calme.
Et puis c'est trop long, purée. 52 minutes pour une apocalypse, bon dieu, j'espère que ce sera plus court.
Oui le seul défaut du disque c'est sa durée. Mais pour le reste je partage en tout point la chronique de Bruno, c'est mon disque préféré de Beck. "Propret", "calme" oui c'est sûr c'est Godrich à la prod' quand même :) mais faut se laisser happer par l'ambiance du disque pour en apprécier les sucs.
SupprimerFrank
Merci pour le compliment, MC5 ! Je ne suis pas loin de partager certaines de tes réserves vis à vis de "Sea Change". C'est vrai que l'album est trop long, et qu'il s'essouffle sur la fin. Il aurait du se terminer sur "Round the bend", histoire de finir en beauté. Quand au fait que le disque ne t'ait pas capté immédiatement, j'ai eu moi aussi la même impression de départ. J'ai laissé vieillir le disque un bon moment, et quand je me le suis réécouté, j'ai vraiment apprécié. Faut laisser décanter un peu... Malgré ses emprunts très évidents (Drake, Gainsbourg) et son coté un peu "papier glacé", j'aime beaucoup ce disque, qui m'évoque une sorte de déprime climatisée !
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