L'année 1994 est également celle de la mort de Kurt Cobain, faisant ainsi étrangement écho au premier succès du blanc Beck, « Looser », dans lequel ce dernier se moquait avec amusement de la posture prétendument suicidaire et dépressive communément associée à l 'indie-rock (voire au rock en géneral) à cette époque. Avec « Odelay », Beck va au bout de cette attitude « slacker », ironiquement je-m'enfoutiste, déterminé à bousculer les conventions du rock et à s'amuser de façon géniale avec à peu près tout ce qui lui passe sous la main : banjo, synthé, sampler, blues, folk, funk, hip-hop, tout passe dans la joyeuse moulinette de l'artiste qui fait subir les pires outrages à ses mélodies en prenant, paradoxalement, bien soins de ne pas les abimer (par la grâce de la production savante et impeccable de ses copains les Dust Brothers) ...
Cette science surréaliste du découpage et du collage, à l'image de la pochette de l'album, héritée probablement du grand-père artiste avant-gardiste de Beck, génère des morceaux qui soufflent délicieusement le chaud et le froid. L'obsédant « Devil's Haircut » s'impose par une rythmique musclée au son d'un riff de western-spaghetti classieux et « Hotwax » allie blues traditionnel et scansion hip-hop avec une habilité bluffante. Le jerk de « The New Pollution » dynamite le funk et s'achève par un sample de saxophone crépusculaire, tandis que « Jack-Ass » est une ballade folk comme Beck Hansen n'a pas réussi à en faire depuis, toute en délicatesse, à peine écornée par des cris animaliers dignes d'un Beck qui ne peut pas s'empêcher de faire l'âne . « Minus » est un morceau parvenant à allier les odeurs de bière keupon (rappelons que Beck's est aussi une marque de bière américaine) avec un style digne de Joe Strummer, et l'album se clôt plus classiquement (comme dans l'album Mellow Gold) par la douce ballade « Ramshackle », bercée par une guitare slide enjôleuse invitant l'auditeur à se remettre de ses émotions.
Il est évidemment impossible de retranscrire avec exactitude toute la richesse qui explose littéralement aux oreilles tout au long des quatorze morceaux de « Odelay », mais ce dernier s'impose définitivement comme un classique, tant il a influencé une tripotée d'artistes, de John Spencer à Badly Drawn Boy, en passant par les producteurs The Neptunes. Cependant, aucun d'eux n'est parvenu à recréer la pierre philosophale mélodique que constitue « Odelay ». Beck lui-même n'y est pas parvenu, ce qui l'a incité à concevoir des albums dédiés chacuns à des styles déterminés (tels le funky « Midnight Vultures » ou le gainsbourgien « Sea Change ») qui ne connaitront pas le succès de cet album mutant et indétrônable de sa discographie.
(Mr Indie)
http://www.myspace.com/beck
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